Texte extrait de :
Congrès de l'Afrique du Nord, tenu à Paris, du 6 au 10 octobre 1908. (A lire sur Gallica)
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR MUSULMAN A LA MOSQUÉE DE L'OLIVIER, OU GRANDE MOSQUÉE, A TUNIS
Rapport de M. Mohamed LASRAM
ORGANISATION ACTUELLE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
"L'enseignement supérieur musulman, nous l'avons dit, est actuellement concentré à
l'Université de la Grande Mosquée. Il se fait cependant, dans les principales mosquées de Tunis, quelques cours portant spécialement sur la grammaire et le droit. En outre, dans toutes les localités un peu importantes de la Régence, des cours de théologie, de droit et de grammaire sont professés dans les mosquées, zaouias et médersas; ces dernières sont au nombre d'une quinzaine.
Le personnel administratif de l'Université de Tunis comprend : le Cheik-el-Islam hanéfite et le bach-mufti malékite, qui forment un Conseil à la fois d'administration, de surveillance et de perfectionnement. L'inspecteur des études arabes y représente le directeur de l'enseignement public. L'enseignement est donné par 30 professeurs de première classe, 12 professeurs de deuxième classe et 67 professeurs auxiliaires appelés moutaweïne (pourvus de la licence). Les uns et les autres doivent faire deux leçons par jour; généralement, ils en font davantage.
Pendant l'année scolaire 1905-1906 (1), le nombre des coure de sciences religieuses a été de 134, dont 65 sur les différentes manières de psalmodier le Coran et 30 sur la théologie. Il y a eu également 187 cours de sciences juridiques, 137 cours de grammaire, 73 sur la rhétorique, l'éloquence et la logique, 13 sur des matières diverses ; un seul cours sur l'histoire et la biographie des hommes célèbres de l'Islam.
Les mêmes matières sont enseignées par de nombreux professeurs. « C'est ainsi que, pour la grammaire, il y a 38 leçons par jour sur Sidi Raled, ouvrage tout à fait élémentaire, 34 sur El Makkoudi, un peu plus difficile que le précédent, et 28 sur Lachmouni ». (pp. 151-152)
Les cours à la Zaytouna
"Pénétrons maintenant dans le sanctuaire réservé à la prière. C'est une immense salle composée d'un grand nombre de nefs parallèles, soutenues par des colonnes, avec le décor d'une simplicité imposante qui caractérise les édifices du culte musulman. Une niche (mihrab), creusée dans le mur du fond, indique aux fidèles la direction de la Mecque. A côté, une chaire (mimbar) en bois délicatement fouillé sert, le vendredi, au prône de l'iman prédicateur.
C'est dans cette salle qu'ont lieu les cours. Il y a parfois jusqu'à 15 professeurs faisant leurs cours à la même heure. Le nombre des leçons ainsi faites chaque jour est de 270. Chaque professeur s'adosse à l'une des colonnes, ses auditeurs groupés en demi-cercle autour de lui, les jambes croisées sur les nattes recouvrant
le dallage; il ouvre son cours par l'invocation suivante : « Au nom de Dieu, clément et miséricordieux !, » formule que, avant tout acte de quelque importance, doit prononcer un bon musulman.
Quel que soit le sujet de la leçon, celle-ci consiste d'abord dans l'explication sommaire du texte (matn), ensuite dans celle du commentaire classique, dont le professeur doit s'efforcer de dégager l'idée de l'auteur exprimée en ternies archaïques. L'exercice pratique se réduit à la lecture du texte par l'un des élèves, avec application des règles énoncées et commentées. Comme à l'Université d'El-Azhar, « les auditeurs ne prennent pas de notes, mais ont tous entre les mains un exemplaire du livre sur lequel porte la leçon». Les auditeurs peuvent interrompre pour demander des éclaircissements, sous la réserve mentionnée à l'art. 28 du règlement : « L'élève devra adresser ses questions au professeur avec la modestie et le respect qu'il doit à celui qui lui est supérieur en science et en dignité. Dans le cas où les questions de l'élève seraient déplacées, le professeur devra le lui faire observer sans brusquerie, avec douceur ». Quand le jeune étudiant est admis à la Grande Mosquée, il a déjà passé par le kouttab, ou école primaire, où l'on apprend par coeur le Coran et, parfois — mais exceptionnellement — le texte abrégé de quelques traités classiques sur les matières professées à la Mosquée Ez-Zitouna. Mais les élèves ne sont initiés qu'imparfaitement à la lecture et à l'écriture, enseignées d'une façon déplorable et contraire aux principes de la pédagogie la plus médiocre. Il ne semble pas que le jeune homme qui sort de l'école coranique avec un bagage intellectuel aussi mince puisse, sans un stage de quelques années, profiter de renseignement supérieur de l'Université. C'est sans cloute en raison de cette infériorité manifeste des débutants que le règlement de Khéreddine a institué un enseignement à trois degrés : primaire, secondaire et supérieur, et indiqué les ouvrages qui
devraient être employés pour chaque catégorie d'élèves.
D'après les observations personnelles de M. Tahar ben Achour, professeur de 1re classe, à qui nous tenons à exprimer ici notre particulière gratitude pour les précieuses indications qu'il a bien voulu nous fournir, la durée des études, pour un élève de la Grande Mosquée doué d'une intelligence moyenne, serait d'environ huit années, dont deux consacrées au premier cycle, trois au deuxième et deux au troisième et dernier. La huitième année est consacrée à la préparation des examens. Aux termes de l'art. 45 du décret organique, ces examens, qui portent sur les ouvrages lus dans l'année, ont lieu en présence des inspecteurs des études, des principaux professeurs et d'un fonctionnaire désigné par le gouvernement.
Deux décrets postérieurs (4 novembre 1884 et 4 avril 1896) stipulent qu'ils seront passés au Dar-el-Bey de Tunis, le 13 juin de chaque année. On ne trouve dans le décret organique aucune disposition déterminant les
conditions d'admission des élèves à l'Université de la Grande Mosquée. L'âge auquel ils peuvent y entrer )n'est pas davantage fixé." (pp. 156-157)